Il y a cinq ans, je marchais le nez rivé sur ma montre. 32 kilomètres. 1200 mètres de dénivelé. Rythme cardiaque à 142. Des chiffres, toujours des chiffres. Un jour de brouillard sur les crêtes des Vosges, j’ai levé la tête et réalisé que je venais de traverser un paysage magnifique sans même l’avoir regardé. Ce fut ma révélation. Aujourd’hui, quand on me demande combien j’ai parcouru sur le GR20 la semaine dernière, je réponds par un sourire et une histoire. Bienvenue dans ma nouvelle façon d’aborder la randonnée.
Quand les kilomètres deviennent une prison mentale
Avouons-le, nous sommes nombreux à être tombés dans le piège des performances chiffrées. Je me souviens encore de cette randonnée dans le Mercantour où j’avais programmé 18 kilomètres. À mi-parcours, une vallée sublime s’ouvrait sur ma gauche. Mon premier réflexe? Consulter ma montre et me dire que cette exploration improvisée compromettrait mon objectif kilométrique. Quelle erreur monumentale! J’ai continué tout droit, sacrifiant une découverte potentiellement inoubliable sur l’autel de la distance.
Les chiffres ont cette particularité de nous enfermer dans un tunnel mental. Ils transforment une activité de pleine liberté en exercice comptable. À force de calculer, on finit par oublier pourquoi on marche. Et croyez-moi, après 15 ans à arpenter les sentiers de France et d’Europe, je peux vous certifier que mes plus beaux souvenirs ne sont jamais associés à un nombre.
La pression du kilométrage a aussi cet inconvénient majeur: elle nous pousse parfois au-delà de nos limites du jour. Notre corps n’est pas une machine. Certains jours, 5 kilomètres peuvent sembler insurmontables, alors que d’autres, nous pourrions en avaler 30 sans sourciller. En ignorant ces variations naturelles au profit d’un objectif rigide, on risque la blessure ou, pire encore, le dégoût.
Les sensations comme nouveau compas de randonnée
Depuis que j’ai rangé mon compteur kilométrique au placard, ma façon de randonner s’est totalement métamorphosée. Je suis passé d’une logique de conquête à une approche d’immersion. La nature n’est plus un terrain à dompter mais un espace à ressentir. Je me permets maintenant des pauses imprévues, des détours spontanés, des arrêts prolongés face à un panorama qui me parle.
Cette approche par les sensations s’articule autour de quelques principes simples que j’ai adoptés:
- L’écoute de mon corps et de ses signaux (fatigue, enthousiasme, douleurs)
- L’attention aux émotions suscitées par les paysages
- La disponibilité aux rencontres (animales ou humaines)
- La flexibilité du programme selon la météo et l’énergie du jour
J’ai remarqué que cette méthode permet une connexion beaucoup plus profonde avec l’environnement. Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai passé presque une heure à observer un groupe de chamois dans le Queyras. Avec mon ancien « moi » obsédé par le chronomètre, j’aurais considéré cela comme du « temps perdu ». Quelle absurdité quand j’y repense! Ces moments d’émerveillement sont précisément l’essence même de ce que je recherche en montagne.
Des bénéfices insoupçonnés pour les randonneurs seniors
Si vous avez quelques décennies de randonnée derrière vous comme moi, vous apprécierez particulièrement cette approche par les sensations. Voici comment elle transforme l’expérience, notamment pour les marcheurs expérimentés:
Aspect | Approche kilométrique | Approche sensorielle |
---|---|---|
Satisfaction | Dépend d’un objectif atteint | Présente à chaque moment agréable |
Souvenirs | Chiffres et performances | Moments d’émotions vivaces |
Adaptabilité | Rigide, source de frustration | Flexible, respectueuse du corps |
J’ai découvert que cette méthode préserve bien mieux les articulations et ménage le cœur puisqu’on s’autorise à ralentir quand c’est nécessaire. Fini le temps où je m’imposais un rythme soutenu malgré une douleur au genou! La randonnée devient ainsi une activité vraiment durable, que l’on peut pratiquer sans crainte de se blesser.
Et puis, soyons honnêtes, il y a quelque chose de profondément libérateur à sortir sans objectif chiffré. Un jour de pluie fine dans le Jura, j’ai parcouru seulement 4 kilomètres mais vécu une expérience sensorielle intense: l’odeur puissante de la terre mouillée, le son hypnotique des gouttes sur mon capuchon, la texture particulière du chemin sous mes pieds… J’en ris encore, mais cette « petite » sortie reste gravée dans ma mémoire bien plus vivement que certaines grandes traversées comptabilisées.
Vers une pratique plus authentique
Cette nouvelle approche m’a également réconcilié avec l’essence même de la marche. Nous marchons depuis des millénaires sans GPS ni applications de tracking. Nos ancêtres mesuraient leurs déplacements en journées de marche, en points de repère, en sensations justement.
Bien sûr, je ne jette pas tous les outils technologiques. Ma montre reste utile pour la sécurité et l’orientation. Mais elle n’est plus le juge de la réussite de ma sortie. Cette dernière se mesure désormais à la richesse des émotions ressenties, à l’intensité des couleurs aperçues, à la profondeur des respirations savourées.
Si vous hésitez encore à abandonner votre compteur kilométrique, essayez juste pour une journée. Partez avec une carte, de l’eau, un pique-nique, et cette seule intention: suivre vos sensations. Vous serez peut-être surpris de redécouvrir le plaisir originel de la randonnée, celui qui vous a fait tomber amoureux des chemins il y a bien longtemps.