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Le moment où j’ai compris que courir lentement me faisait aller plus loin

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Le jour où tout a basculé se situe quelque part sur un sentier escarpé des Alpes du Sud. J’avais les jambes lourdes, le souffle court et l’ego en miettes. Moi qui m’étais toujours vanté de « bouffer du dénivelé » comme d’autres engloutissent leur petit-déjeuner, je me retrouvais à l’arrêt, plié en deux, regardant avec envie ces randonneurs qui me doublaient d’un pas lent mais imperturbable.

La révélation du rythme lent en trail

Pendant des années, j’avais abordé mes sorties trail comme des sprints prolongés. Plus c’était intense, plus c’était bon – du moins le croyais-je. Cette philosophie du « no pain, no gain » m’avait conduit à plus d’abandons que je n’ose l’admettre.

Ce jour-là, épuisé et contraint de ralentir drastiquement mon allure pour simplement finir mon parcours, j’ai fait une découverte qui allait transformer ma pratique : moins je forçais, plus je pouvais aller loin. Une révélation aussi simple que puissante, comme ces vérités de terrain qui vous frappent quand vous êtes au bout du rouleau.

J’avais devant moi un vieux monsieur, facilement dans sa septantaine, qui gravissait la pente avec la régularité d’un métronome. Pas rapide, mais constant. Je l’ai suivi, adopté son rythme, et pour la première fois, j’ai vraiment ressenti le sentier sous mes pieds plutôt que de simplement le percuter.

Le concept de la zone d’endurance fondamentale, cette fameuse allure où vous pourriez tenir une conversation sans haleter, prenait tout son sens. Je ne courais plus contre la montagne, mais avec elle. Et croyez-moi, quand vous cessez de combattre le terrain, celui-ci devient étrangement plus clément!

Les bénéfices insoupçonnés du « slow running »

Adopter une allure plus lente m’a apporté bien plus que de l’endurance supplémentaire. Les changements ont été multiples et parfois surprenants :

  • Une récupération nettement plus rapide après les sorties longues
  • Une diminution spectaculaire des douleurs articulaires
  • Une appréciation nouvelle du paysage (on voit mieux quand on halète moins!)
  • Un plaisir retrouvé, loin de l’auto-flagellation sportive

Mon corps m’a remercié de cette conversion en me permettant d’enchaîner des sorties plus longues, plus techniques, sans cette sensation d’être passé sous un rouleau compresseur le lendemain. La lenteur m’offrait paradoxalement plus de distance et de liberté.

Tenez, la semaine dernière encore, j’ai croisé un groupe de jeunes traileurs sur le sentier du Mercantour. Ils filaient comme des gazelles… pour s’arrêter net 3 kilomètres plus loin, alors que je poursuivais ma route à mon rythme de tortue glorieuse. L’un d’eux m’a lancé : « À ce train-là, vous n’arriverez jamais! » J’ai souri en pensant à toutes ces fois où j’avais pensé comme lui. « Peut-être, mais j’arriverai ».

Type d’allure Sensations Distance potentielle
Rapide (85-90% FCM) Intense, respiration difficile Limitée (5-15 km)
Modérée (75-80% FCM) Effort soutenu, conversation hachée Moyenne (15-30 km)
Lente (60-70% FCM) Confortable, conversation possible Étendue (30+ km)

Comment j’ai intégré la lenteur à mon entraînement

Adapter son rythme demande paradoxalement de la discipline. Notre ego sportif nous pousse constamment à accélérer, surtout quand quelqu’un nous dépasse. Voici comment j’ai procédé :

  1. J’ai commencé par calculer ma fréquence cardiaque d’endurance fondamentale (environ 180 moins mon âge)
  2. J’ai utilisé une montre pour rester dans cette zone, quitte à marcher dans les montées
  3. J’ai alterné une semaine « lente » pour chaque semaine d’entraînement intensif
  4. J’ai prolongé progressivement mes sorties lentes de 10% chaque semaine

La transformation a pris du temps – trois mois pour vraiment accepter de freiner mon ardeur – mais les résultats ont dépassé mes espérances. Non seulement mes performances sur longue distance se sont améliorées, mais j’ai redécouvert le plaisir fondamental de courir.

Et puis, avouons-le, il y a un certain plaisir à doubler en fin de parcours ces mêmes fusées qui vous avaient laissé dans la poussière au départ. C’est la revanche de la tortue, et elle est savoureuse! Car comme dirait mon vieil ami Bernard, rencontré sur le GR20 : « En trail comme en amour, ce n’est pas la vitesse qui compte, mais la persévérance. » Une phrase qui me fait toujours sourire quand je l’évoque lors de mes sorties en groupe.

Le nouveau rapport au terrain et au temps

Courir lentement m’a offert un cadeau inattendu : une connexion plus profonde avec les paysages traversés. Quand votre regard n’est plus fixé exclusivement sur le prochain mètre de sentier, vous découvrez la beauté qui vous entoure. Les nuances de la forêt, le vol d’un rapace, les variations de la lumière sur les crêtes…

J’ai également redécouvert la notion d’effort joyeux. Cette sensation où, même après quatre heures de course, vous savourez encore chaque foulée plutôt que de les compter avec douleur. Le corps fonctionne comme une mécanique bien huilée, plutôt que comme une machine poussée au-delà de ses limites.

Aujourd’hui, à 55 ans, je parcours plus de kilomètres que lorsque j’en avais 40, avec moins de blessures et plus de plaisir. La lenteur m’a paradoxalement mené plus loin que tous mes anciens élans frénétiques. Comme quoi, parfois, le meilleur moyen d’avancer, c’est de savoir ralentir.

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