Laissez-moi vous raconter cette histoire qui a changé ma vision du trail running. C’était un matin de juin dans les Alpes. Le soleil se levait à peine, colorant les sommets d’une teinte rosée qui donnait au paysage un aspect irréel. J’avais décidé de m’attaquer à un sentier technique, réputé pour ses dénivelés et ses panoramas à couper le souffle.
La rencontre qui a tout changé
Je courais depuis presque deux heures. Mes jambes commençaient à protester mais mon esprit restait concentré sur chaque pas. Le sentier serpentait entre des parois rocheuses et des alpages verdoyants. C’est là que j’ai entendu un bruit de pierres qui dévalaient la pente.
En me retournant, j’ai aperçu cette silhouette agile qui bondissait de rocher en rocher avec une facilité déconcertante. Un chamois. Ce maître incontesté de la montagne se déplaçait avec une grâce que des années d’entraînement ne m’avaient pas permis d’acquérir. Il m’a littéralement doublé sur la droite, m’adressant ce qui ressemblait à un regard mi-moqueur, mi-compatissant.
« Eh bien mon vieux, je crois que tu viens de te faire battre à plate couture par un animal qui n’a même pas de chaussures à 180 euros aux pattes ! » me suis-je dit en éclatant de rire. Cette rencontre fortuite a déclenché en moi une réflexion que je n’avais jamais eue auparavant.
Le chamois a disparu aussi vite qu’il était apparu, me laissant seul avec mes pensées et ma respiration haletante. Cette leçon d’humilité offerte par la nature elle-même résonne encore aujourd’hui dans mon approche du trail.
Pourquoi courir en montagne?
Cette rencontre m’a forcé à me poser LA question fondamentale : pourquoi est-ce que je m’inflige ces efforts? Pourquoi grimper des pentes vertigineuses quand d’autres préfèrent la tranquillité d’un fauteuil?
Voici les raisons qui, je crois, nous poussent tous sur ces sentiers escarpés :
- La connexion profonde avec la nature que seul l’effort physique semble pouvoir déverrouiller
- Le besoin viscéral de se mesurer à quelque chose de plus grand que soi
- La recherche d’une liberté que notre quotidien nous refuse souvent
- Ce sentiment incroyable d’accomplissement qui survient au sommet
Le chamois m’avait montré autre chose : l’importance d’être à sa place dans cet environnement. Pas en conquérant, mais en invité respectueux. Je ne venais plus seulement pour la performance, mais pour faire partie, même temporairement, de cet écosystème majestueux.
Ce que j’y cherchais avant | Ce que j’y trouve maintenant |
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Performance | Présence |
Chronos | Connexion |
Dépassement | Appartenance |
Les leçons du terrain
À 58 ans aujourd’hui, je ne cours plus aussi vite qu’avant. Pourtant, je prends davantage de plaisir sur les sentiers. Cette rencontre avec le chamois a été le point de départ d’une nouvelle façon d’aborder mes sorties en montagne.
J’ai appris que le véritable défi n’est pas d’aller plus vite que les autres, mais d’être pleinement présent à chaque foulée. Le trail n’est pas une simple activité physique, c’est une méditation en mouvement. Quand vous posez le pied sur un sentier technique, votre esprit ne peut s’égarer – il doit être là, attentif, concentré sur l’instant.
Parfois, lors d’une sortie particulièrement difficile, je repense à ce chamois et je souris. « Si tu me voyais peiner aujourd’hui, mon ami, tu te moquerais bien de moi! » Et bizarrement, cette pensée allège toujours mon pas.
Vous savez ce qu’on dit dans le milieu des traileurs : « Le premier adversaire à battre, c’est toujours soi-même. » Mais ce jour-là, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de battre qui que ce soit. Il s’agissait simplement d’être là, pleinement, humblement, et de savourer chaque moment que la montagne nous offre.